samedi 10 janvier 2015

Suis-je Charlie ?

Je ne peux pas me réjouir de la mort des terroristes.

Je me suis réveillé sur cette pensée ce matin, j'avais eu du mal à voir, lire, entendre, les gens accepter la mort des assassins. Je ne parle pas de s'en réjouir, simplement de l'accepter.
La mort n'est pas la justice de la République. La mort n'est pas la justice, tout court, mais la République se doit d'être exemplaire, elle se doit de n'avoir aucune indulgence envers elle-même. La justice eût été un procès. Un procès durant lequel les assassins auraient été confrontés aux conséquences de leurs actes, un procès durant lequel ils n'auraient pas gagné leur statut de martyrs aux yeux de leurs soutiens, un procès durant lequel on aurait pu expliciter publiquement les risques des intégrismes religieux ou politiques, un procès durant lequel on aurait pu en savoir plus sur leurs réseaux, leurs parcours, la construction du mythe intégriste, bref, un procès.



J'aime croire que les soldats du GIGN et du RAID qui ont tiré ne se réjouissent pas non plus de ces morts. Certes ils ont fait leur travail en empêchant des trroristes de renouveler leurs crimes. Mais au prix de la mort de personnes humaines, qu'ils ont vu en face d'eux avant de tirer, qui les hanteront un jour ou l'autre.
Mesrine, Merah, Kouachi, et d'autres exemples de justice d'exception. Quand la République ne combat plus ses ennemis à la régulière, elle prends les mêmes armes qu'eux. Et ils gagnent. Ils sont morts, certes, mais ils ont poussé le chevalier blanc à tuer pour défendre son intrediction de tuer. Ou de terroriser, je ne sais pas ce qu'on a défendu hier. La justice d'exception n'est pas la justice.
J'ai vu un dessin où l'homme encagoulé disait "tu es mort" et Charb criblé de balles lui répondait "oui, mais j'ai gagné". L'argument était qu'en tuant un homme on rendait ses idées plus fortes. Ce matin je ne vois pas le même dessin avec un djihadiste criblé de balles, alors que sa mort renforce son statut de martyrs.

Combien de journalistes évoquent la "guerre" contre l'intégrisme aujourd'hui ? Les armes de la justice, de la République, de la liberté de pensée, ne doivent pas être les mêmes que celles de leurs agresseurs.
Combien de journalistes évoquent la "guerre" contre la financiarisation aujourd'hui ? Pourtant je ne peux m'empêcher de faire le lien entre le monde que nous laissons se construire, en notre nom, fait d'injustices, d'inégalités, de haines, et les conséquences que nous en subissons en devenant (contre notre gré) les ennemis des ennemis de la finance.
Ce sont deux formes de terreur qui nous oppriment, dont l'une que nous ne combattons pas, pourquoi ?


Ces hommes avaient aussi de la famille, ne serait-ce que des parents. Des parents qui n'avaient certainement pas éduqué leurs enfants pour qu'ils prennent un jour les armes*. Des parents qui n'ont pas le droit d'être en deuil parce que leurs enfants sont morts pour avoir commis un crime inexcusable. Mais c'était leurs enfants. Je ne peux, je ne veux pas, comprendre la douleur d'un parent qui perd son enfant, quelles que soient les conditions. Quand bien même ils les auraient désavoués, c'était leurs enfants.


* : Aux armes citoyens, Formez vos bataillons, Marchons marchons, Qu'un sang impur, Abreuve nos sillons.
Vous avez reconnu la chanson. Et vous trouvez que les terroristes étaient dans une dynamique de violence ? Que pensez vous alors de la dynamique dans laquelle vous êtes ? La République française est une belle promesse, mais elle promet également le sang. Le sang des "impurs", le sang de tous ceux qui ne partagent pas les mêmes idées que ses représentants.


Ces derniers jours j'ai souvent dit que "je n'étais pas Charlie", pour tout un tas de raisons. Ou alors, si je suis Charlie, je suis aussi Kouachi, et cela ne me plaît pas.
Etre Charlie parce qu'ils sont morts, n'est-ce pas un peu tard ? Pourquoi ne pas avoir soutenu financièrement le journal avant, en s'abonnant, si leur présence est si importante pour la liberté d'expression ? Pourquoi ne pas soutenir financièrement d'autres journaux, autant en difficulté, porteurs de liberté d'expression ? Charlie Hebdo, qui était en faillite, L'Humanité, qui l'est aussi et dans lequel on retrouvait une partie de la rédaction de Charlie, Minute qui est aussi en difficulté, qui est aussi porteur de liberté d'expression, même si je trouve son expression nauséabonde, se battre pour la liberté d'expression reviendrait à financer aussi ce journal.
Parmi les millions de Charlie, combien ont pris leurs abonnement à Charlie ? Et combien à Minute ?
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